Château d'Ilbarritz, Bidart, France - Art residency June 2 to 20, 2015 (Castle in flowers)
Intervention and installation - Nearly 100m2 btw walls, ground, and ceiling.
Bas relief, natural pigments, acrylic, pastel, wire, dust, inket on paper.

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18 JOURS AU CHÂTEAU
Projet d'édition Sophie Geoffrion et Franck Cazenave (voir sommaire en bas de page)

Textes Sophie Geoffrion - Journal Franck Cazenave - Note artiste et Extraits du CHAPITRE I : LA MATIÈRE

SEUL AVEC ALBERT
Note de Franck Cazenave

Au Printemps 2015, je suis invité à travailler au Château d’Ilbarritz, en préambule de l’événement Castle in Flowers, fête célébrant un nouvel avenir pour le Château (récemment acquis par Bruno Ledoux), formidable édifice construit (1897-1898) par l’architecte Gustave Huguenin pour le Baron de l’Espée. Fasciné depuis mon plus jeune âge par la présence énigmatique du Château comme par la vie romanesque d’Albert de l’Espée (1852-1918) cette invitation est une chance, une évidence. S’impose à moi une véritable démarche immersive dans l’histoire du Baron : un territoire d’affects et de souvenirs entre mesure et démesure. La relecture de la biographie du Baron Albert de l’Espée par C.Lurashi (éd. Atlantica) est le préalable à mon travail.

Lors cette “résidence-performance“ au Château, du 2 au 20 Juin 2015, je vais créer, faire en ces murs, faire avec ces murs. Chaque jour j’arpente le grand escalier me menant au silence du dernier étage : quelques pas dans la “pièce d’orgue“, un regard vers le large depuis le belvédère dominant l’Océan, et j’embarque pour un voyage en solitaire, ponctué d’échanges silencieux avec Albert et ses souvenirs incrustés dans la pierre. Lieu de résidence personnelle du Baron et lieu de résidence artistique se juxtaposent. L’espace est atelier, l’espace devient œuvre : l’un et l’autre interagissent dans une dialectique ponctuelle, une continuité extra-narrative ordonnée à partir de choses qui ont existé pour elles-mêmes, succession de fragments poétiques inspirés des remous de la vie d’Albert de l’Espée et de la poésie ineffable du Château. L’approche plastique s’adapte à la physionomie “en l’état“ des pierres centenaires, convoquant dessin, bas-relief, peinture, et installation. Y naît une matière de la matière. Leur plâtre fouillé à vif, les murs deviennent témoins d’une part, et supports d’interrogations d’autre part. L’espace architectural est “dilaté“, “augmenté“ par la mémoire, l’expérience et le questionnement. Durant près de cent cinquante heures de travail je réalise une oeuvre in situ et in memoriam de près de 100m2 de surface : Territorial Pissings. Une création induisant une situation de dialogue pour le visiteur avec son propre rapport au territoire, au temps, au(x) passage(s), et à la musique, entre sentiments exacerbés et imagination “expansée“.

De ces instants “dépoussierés“ je livre un journal quotidien (captation audio) à la philosophe praticienne Sophie Geoffrion. Habitué au silence de l’atelier, j’y dévoile pour la première fois les émois liés à un travail en cours. Ces descriptions minutieuses ou spontanées mettent en lumière inspirations, réflexions, difficultés ou joies liées à mon expérience au Château. Chaque soir, la philosophe entre dans mon intimité, au cœur de mon processus. Pour accompagner ces enregistrements, je demande à Marie Guyot, photographe, de venir témoigner en images de l’évolution de mon travail à plusieurs reprises. Je prends également de nombreuses photographies moi-même.

Remerciements : Bruno Ledoux, Sabrina Bellino, Priscilla De Laforcade, Nathalie Chaffron, Guillaume Le Cam, Gheorge Meaun, Sergeu Meaun, Gheorge Stinca, Dan Apachita, Marie Guyot, Marion Koegler.

EXTRAIT CHAPITRE I - LA MATIÈRE

A l’origine est la matière. Brute, immédiate, silencieuse. Elle est l’étendue physique qui occupe l’espace, tout l’espace, formes et corps. Nous l’oublions parfois, nous sommes des êtres de matière, de chair, de mélange et nous déambulons parmi les pierres, les plantes et l’air qui nous traverse. La matière est notre monde. Corps d’atomes, de chocs et d’entre-chocs, nous pénétrons les atmosphères.

Parfois ce sont elles qui nous transpercent. Frappé par la beauté immatérielle, Franck Cazenave absorbe les ambiances, les digère et les transforme. La respiration naturelle du corps-artiste est un va et vient entre l’inspiration et l’expiration. L’air ambiant se matérialise sous l’impact du geste qui déclenche les mutations des pierres, des poussières, des murs et des plâtres. La matière n’est pas la forme, nous lui prêtons forme.

Les murs décrépis et cachés du dernier étage du Château d’Ilbarritz battent sous l’impulsion artistique d’une palpitation nouvelle. Le château devient la toile et l’atelier.

« Observer cette matière déjà vieillie, qui a déjà fait son oeuvre et ne pas la trahir, l’accompagner, presque la sublimer aussi, ne pas lui donner de l’éclat mais une ambition, lui donner son importance, la prendre pour ce qu’elle est sans vouloir la changer, sans vouloir la travestir mais en lui donnant sa vérité, en montrant sa vérité, en appelant le regard sur sa vérité. »  Journal FC à SG

La performance du créateur ancre les idées dans le corps, dans son propre corps et dans celui de la forteresse fantôme. Lorsque la matière est brute, pleinement informe, le défi est de taille. Il faut l’appréhender comme une carte blanche, un espace à construire et à écrire. Une cartographie qui se dessine d’abord par le regard.

L’ère est à l’image. Nous baignons dans un environnement visuel qui paradoxalement nous rend aveugle. Les images éteignent l’imaginaire. Elles s’imposent face à nous dans toute leur majesté et semblent tout dire. Ces bavardages visuels sont factices. La vérité n’est pas dans la forme immédiate, elle se loge souvent dans la faille, le vide, l’interstice. L’artiste porte son regard sur ces timidités farouches, il en déloge toute la vitalité et la métamorphose en beauté. 

Regarder

« Observer ce qui est primordial dans le travail, dans la démarche, regarder bien tout ce qui se passe, où il faut aller, où il faut accompagner, où il faut alléger aussi. Beaucoup de temps d’observation, de longs silences d’observation sur ce qui se passe et les choix à faire. » Journal FC à SG

On commence donc par regarder, par observer. Voir est une donnée biologique : l’oeil voit comme l’odorat sent ou l’oreille entend. Regarder est une donnée métaphysique. Il s’agit d’accéder à un autre niveau de conscience, un au-delà du corps. Tendre l’oeil, l’ouvrir aux nuances et aux changements multiples. Il faut dépasser rapidement les apparences, solliciter la fantasia, l’imagination et extrapoler. L’artiste doit convertir son regard, apercevoir et non simplement percevoir. Son oeil n’est pas ordinaire, il est une vision. Et du vide doit émerger le plein. Regarder est un acte simple, il est en cela l’acte fondateur d’un monde complexe.

Aussi, l’approche est archéologique, il faut mettre à jour l’invisible des murs endormis. Pour cela, suivre les traces, fouiller, gratter, creuser, enlever, regrouper, sculpter la pierre et le plâtre.

« Un jeu d’équilibriste un peu entre l’écoute du mur et mon intervention sur ces murs. Je rentre dans la matière.» Journal FC à SG

Au sommet du château, le peintre fait face à la toile-atelier. Il observe chaque molécule du lieu vide, éclairé par la seule blancheur des murs. Il doit enraciner le corps dans l’espace, devenir le château, mordre la poussière. 

Avant tout, regarder pour éveiller le battement des murs éteints.

(...)
Sophie Geoffrion

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Sommaire 18 JOURS AU CHÂTEAU

Avant-propos
SEUL AVEC ALBERT - Note de l’Artiste FRANCK CAZENAVE 
LA CITADELLE DES MURMURES Introduction - de la Philosophe praticienne SOPHIE GEOFFRION

Textes Sophie Geoffrion
Chapitre 1. LA MATIÈRE                         
Regarder - Poussière - Geste - Couleur

Chapitre 2. L’ESPACE                              
Géographie - Architecture - Habiter - Passage

Chapitre 3. LE TEMPS                
Mémoire - Eternel et éphémère - Créer

Chapitre 4. PRÉSENCE INVISIBLE        
Absence et silence - Musique - Apparaître